GORGONE (iconographie)

GORGONE (iconographie)
GORGONE (iconographie)

GORGONE, iconographie

Des trois sœurs appelées Gorgones, Euryalé, Sthéno et Méduse, la dernière, seule à être mortelle, est la plus fameuse en raison de son pouvoir de pétrifier les humains qui rencontrent son regard et de sa fin tragique. C’est presque toujours Méduse qui apparaît figurée, dès l’époque grecque archaïque et durant toute l’Antiquité classique, dans une grande variété de contextes (vases, monnaies, intailles et camées, appliques de bronze ou de terre cuite, sculpture monumentale), mais sous des apparences très constantes. Qu’elle soit vue en pied, notamment dans la scène où le héros argien Persée lui tranche la tête, ou que son image soit réduite à cette tête, trophée ou masque, son visage monstrueux est toujours montré de face, large et aplati, muni d’oreilles de bovidé, de crocs de fauve et d’une langue énorme pendant de sa bouche distendue. Ses yeux révulsés fascinent par leur fixité, des serpents se mêlent à sa chevelure et souvent se nouent sous son menton et autour de sa taille. Elle est pourvue d’ailes, parfois d’un arrière-train de bovidé et, à ces caractères mi-humains mi-animaux, s’ajoutent des traits masculins, barbe et pilosité. Au fronton du temple d’Artémis à Corfou (vers 590), elle s’agenouille en un mouvement de course, le corps athlétique vu de profil; dans une métope provenant du temple C de Sélinonte, vers 540 (musée de Palerme), Persée l’égorge en présence d’Athéna, qui lui a prêté son bouclier poli pour qu’il puisse atteindre son adversaire en se guidant sur son reflet, cette image atténuée ne possédant pas le même pouvoir mortifère que le regard direct du monstre. La tête de Méduse ou Gorgoneion orne l’égide de l’Athéna Parthénos , puisque Persée en fit don à la déesse sa protectrice; il se voit aussi en ornement ou épisème du bouclier d’Achille. Destiné, lorsqu’il figure sur le vêtement d’Athéna, à semer la panique dans les rangs des ennemis, comme un emblème pétrifiant de la mort qui les attend, il protège par contrecoup celui qui l’arbore sur sa cuirasse. Au fond des coupes à vin le masque parfois quasi grotesque de la Gorgone a une signification plus ambiguë: sert-il à exorciser par cette image grimaçante la peur de l’altérité qui se révèle dans l’ivresse ou de cette altérité absolue qu’est la mort?

La fortune du motif revient à l’époque de la Renaissance, grâce aux collections d’objets antiques et à la relecture des auteurs classiques. Dans la collection de gemmes de Laurent de Médicis figurait un camée d’une taille exceptionnelle, connu sous le nom de «tasse Farnèse» (Musée archéologique de Naples); l’une des faces offre une image raffinée de la tête de Méduse, les cheveux ondulants disposés en rayons. Inspiré par ces objets précieux, Andrea del Verrocchio a orné d’une tête de Méduse le buste en terre cuite de Julien de Médicis, frère de Laurent (National Gallery, Washington). Le duc Côme Ier de Médicis commanda à Benvenuto Cellini une statue de bronze qui orne la loge des Lanciers à Florence, Persée brandissant la tête du monstre qui gît décapité et convulsivement crispé sous ses pieds. Goût archéologique ou croyance superstitieuse dans les vertus apotropaïques du Gorgoneion , ce motif orne les bustes du même Côme, celui en marbre par Baccio Bandinelli, et celui en bronze par Cellini (Museo nazionale, Florence), Leone Leoni le reprend pour la statue funéraire de Gian Giacomo de Médicis à la cathédrale de Milan. Les exploitations narratives sont plus rares: citons le tableau de Luca Giordano, Phinée et ses compagnons changés en pierre lors des noces de Persée et d’Andromède, d’après le chant V des Métamorphoses d’Ovide (commerce d’art, Londres). Le thème renaît aussi sous la forme de boucliers circulaires ou rondaches, sculptés ou peints: ainsi celui que Léonard de Vinci peignit aux dires de Vasari, ou celui de Caravage (Offices, Florence). Rubens a repris le thème de la tête tranchée grouillant de serpents dans un tableau de teintes livides (Kunsthistorisches Museum, Vienne), Bernin en a sculpté une tête d’expression tourmentée (palais des Conservateurs, Rome). Claude Lorrain illustre les thèmes cosmogoniques de L’Origine du corail , formé, selon Ovide, du sang de la Méduse dégouttant sur des herbes marines, et de la naissance de Pégase, fruit des amours de Méduse et de Poséidon (tableau à Holkham Hall).

À la fin du XIXe siècle, les symbolistes ont exploré les implications psychologiques, les racines inconscientes du thème. Si Edward Burne-Jones traite l’histoire de Persée comme un cycle chevaleresque fantastique (notamment La Tête maléfique , 1886, Staatsgalerie, Stuttgart), Fernand Khnopff vers 1895 consacre deux dessins de caractère onirique au monstre antique, devenu une femme au pouvoir de séduction envoûtant, Le Sang de la Méduse (Bibliothèque royale, Bruxelles) et La Méduse endormie (coll. part., Neuilly). Dans le dessin de Jean Delville, L’Idole de la perversité , 1891 (coll. part., Milan), des serpents s’échappent des cheveux de l’héroïne au sourire et au regard de félin. Le masque de Méduse revient avec insistance dans l’œuvre de Gustav Klimt: sur le bouclier d’Athéna de l’affiche pour la première exposition de la Sécession viennoise, en 1898, sur l’égide de sa Pallas Athéné (Historisches Museum der Stadt, Vienne). Dans la Frise de Beethoven à la maison de la Sécession, en 1902, les trois Gorgones figurent parmi les «puissances ennemies», entourées de la Maladie, de la Folie et de la Mort. Dans sa peinture détruite de la Jurisprudence à l’université de Vienne, les trois Gorgones assistaient, enfermées dans leur sensualité autistique et mortelle, au procès d’un pitoyable accusé masculin.

En jouant sur ces idées associées aux mythes de Méduse (envoûtement maléfique, métamorphose, étrangeté et grotesque), Werner Hoffmann a conçu l’exposition Zauber der Medusa , présentée à la Künstlerhaus de Vienne en 1987.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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